PÉRÉGRINATIONS... (1) - Spencer Day / Gilad Hekselman / Giuseppe Valentini / Jan Harbeck

PÉRÉGRINATIONS... (1)

Au fil des jours, la musique enrobe la vie, elle prend sa place sur l’échiquier du temps...
Tel jour, tel(s) album(s), on accroche, on hésite, on aime d’emblée, on se dit que... ce sera pour un autre jour, le temps, l’humeur, le gout aussi... la découverte souvent.
J’ouvre un patchwork qui sera à répétition, sans raison d’être, sans fil conducteur, sans idée préconçue, juste le hasard.

SPENCER DAY – « Vagabond » - 2009.

Ce matin j’ai ouvert un album de cartes postales, il y en avait de toutes sortes, de voyages, de souvenirs, d’anniversaire, d’enfance, d’amitiés...
L’esprit fatigué d’une soirée chargée de notes, de standards, d’énergie vitale et musicale, je cherchais un moyen d’évacuer toute cette pression mentale pour aller vers le répit avant de recommencer ce soir.
Au rayon pop j’ai trouvé cet album au nom évocateur « Vagabond »...
J’ai de suite été « at home », enveloppé de douces familiarités – « till you come to me » qui procède par cordes pizz ou voluptueusement satinées – orientalisées sur beat groove sensuel tel qu’au bon vieux temps du rythm’n’blues m’aura servi de porte d’entrée.


Puis l’album a défilé, comme on feuillette les pages d’un album de souvenirs, de ces cartes postales à travers lesquelles on vagabonde, s’arrête, se souvient – sourires, émotions, mémoire.
Puis je me suis pris à chercher quelques infos sur ce Spencer Day, sorte de jeune étudiant américain au sourire de série... pas grand-chose.
Oubliée la recherche la musique n’a finalement que repris son agréable cours.


J’aurais été surpris de voir l’homme classé au rayon jazz, comparé à Jamie Collum, comme s’il suffisait d’être jeune, d’avoir un ton jazzy et de jouer du piano pour se retrouver étiqueté.
On peut jouer au jeu des similitudes...
J’y ai trouvé la pop de ce James Taylor navigateur solitaire d’entre pop et jazz.
J’y ai remarqué que le jeu pianistique gospel apparaissait comme un enracinement culturel profond (« Vagabond » et son ancrage trois temps sur chœurs denses et prenants).
J’ai adoré l’écriture des cordes « de chambre », pas de symphonisme, de l’intimisme...
J’ai adopté les chœurs, présents, efficaces et pourtant discrets.
J’ai été sous le charme de l’évidence des mélodies.
J’ai remarqué que le côté rhumba-beguine (« Weeping Willow ») s’installait souvent sous la pulse d’apparence pop.

Je me suis dit que d’être accompagné par une rythmique d’une telle souplesse devait être l’aisance absolue et que même lorsqu’un léger groove s’invitait à la partie (« Joe » - « 25 » au ternaire quasi bluesy) il n’y avait jamais de fatigue de masse, de clous enfoncés afin de faire croire qu’il suffit de frapper pour que cette sensation s’installe.
Joe - Spencer Day
25 - Spencer Day

J’ai à peine remarqué que le fender ou son copain hammond (« Better Way ») se cachaient dans le décor, mais au second tour d’écoute j’ai souri en les accrochant comme on sort une carte de l’album pour lire au dos.

Je me suis souvent dit que le mot pop-song avait là certainement l’une de ses nombreuses définitions, pas si lointaine de celle des Beatles tenanciers du titre (« Maybe »).
Maybe (Tuesday Morning) - Spencer Day

Dans l’axe pianistique la guitare est difficile à placer mais il m’a suffi de « Summer » wurtlisé pour inciter mon écoute à lui prêter une douce attention – et ce cor douceâtre n’aura pas échappé à ce rêve.
J’ai repensé à un album de Marc Cohn (« 25 » - « Out of my hands »...)... à Graham Nash (allez donc savoir pourquoi ?)...
Summer - Spencer Day

« Out of my hands »... point d’arrêt...
J’ai cherché le pourquoi jazzy et finalement je l’ai trouvé en fin de parcours (« I got a mind to tell you » - « Better Way »), tel Robbie Williams se prenant pour Sinatra, mais en légèreté absolue et sans démesure inutile, tel Jamie Collum, certainement (timbre de voix) et pourquoi pas, après tout... mais ici point de Zébulon surexcité, juste la classe, l’élégance, la retenue, la finesse, la musique, surement en place de la démonstration juvénile.

Ce matin le café est resté à sa place je lui ai préféré un thé légèrement sucré et plein d’arômes.
L’album était là, sur la table, il suffisait de l’ouvrir et la musique est apparue comme l’on feuillette les souvenirs.
Je me suis dit qu’il allait me falloir chercher les autres car le bien être n’a pas de prix.
Je n’ai même pas remarqué qu’il faisait un temps pourri, maussade à souhait, de ceux qui incitent à lézarder, à s’installer confortablement en faisant confiance au temps qui passe et à savourer tout en dégustant une de ces merveilleuses sucreries.


GILAD HEKSELMAN – « Homes » - 2015
La méfiance face à la découverte d’un « autre » trio estampillé jazz...

En vrac :
- Encore un de ces trios qui va nous abreuver de dérives virtuoses jazzifiées, sur fond de chabada éculé ?
- Encore un de ces trios qui n’a d’intérêt (relatif) qu’en « live », musique pour inconditionnels, musique pour « spécialistes parmi les spécialistes » ?
- Quel propos musical sous une telle forme peut encore être susceptible d’attirer la curiosité, de faire pencher l’auditeur ?

« Il est des musiques que l’on préfère jouer plutôt qu’écouter » - me disait l’autre jour un de mes amis musiciens – tout en aimant constater qu’il y avait un réel public pour ces musiques, chose qui, de notre point de vue n’est pas spécialement paradoxale.
Le public fait ses choix, axe son écoute et on ne peut guère calculer ce qu’il va appréhender lorsque l’on joue.
Telle énergie, telle virtuosité, tel intellectualisme, telle évidence ou simplicité, telle subjective « beauté ».

La formule du trio guitare/basse/batterie encerclée de la dénomination jazz m’aura donc posé tant et tant de ces questions mais, j’aime comprendre et surtout croire que si l’on ose encore s’avancer dans l’aventure du « genre » c’est pour de bonnes raisons.
Ici les réponses sont au-delà de ces curieux questionnements.
Le projet, d’abord, car il y en a un et peu importe son sous titrage explicatif. Dès qu’on entre dans l’album, on sait que l’on part d’un point pour avancer vers quelque chose, une sorte de tracé qui va se décliner surement, comme face à un tableau dont on aborde tous les contours, les angles de vue, le sens caché, profond ou l’évidence.
Il serait vain de tenter d’oublier l’identité profondément jazz, c’est bien cela qui m’a conduit ici et qui m’a satisfait au plus haut point, mais cet album ne respire pas le poncif, le standard de redite, le cliché auto-satisfait et même si parfois j’ai eu des pensées Abercrombie (j’adore tout ce qu’a pu enregistrer et créer John Abercrombie), c’est un réel sentiment d’identitaire immensément créatif qui m’est apparu.

Gilad Hekselman - Verona (From Homes, Oct 2015) - YouTube
Homes by Gilad Hekselman - EPK - YouTube

Cet album est simplement intelligent.
Il n’est pas de cette déviance pseudo intello qui use à force de s’enfermer à tourner en rond dans la cage du cérébral nombriliste.
Il est juste lucide, captivant, beau, sensible, remarquablement composé, interprété et approprié à la formule trio.
Cette formule qui, ici, n’est pas juste un rendez-vous de jam pour boeufeurs en mal de rencontre érotico musicale comparant la taille de leurs gammes et leurs aptitudes sportives à les réaliser.

Les thèmes sont, un à un, un chapelet de notes poétiques.
La retenue qui les met en valeur démontre une osmose avec le propos qui saute au plaisir auditif.
Ils sont exposés, soutenus, accentués, précisés...  avec écriture et sens musical.
La difficulté j’imagine est toujours de graver « le solo »...
Vous savez, ce truc « improvisé » qui une fois là dans protools se doit d’être personnel, autre, différent, sensible, beau, technique parfois, précis, « inspiré »... et qu’on sera à même de réécouter, tant son dépositaire que ses auditeurs avec toujours autant de plaisir que... la première fois de sa découverte.
Le soliste écoute dans la cabine, découvre ce qu’il croit avoir mémorisé de son impro... il aimera, grimacera, tentera de faire mieux, ou pas, notera tel moment « de grâce » et lâchera l’affaire... pour la laisser à l’auditeur.
L’auditeur découvre ici ces solos parfaitement développés dans la perspective des thèmes – juste parfait...
Un projet, un concept, un voyage, de l’osmose, du jazz, de l’impro autre mais pas autrement, un tantinet de pop, de bossa...
Beaucoup d'air, de respiration, d'espace...



« Homes » est plus qu’un simple album de jazz qu’on écoute pour passer à la suite, ou à autre chose.
On s’y arrête, on le réécoutera avec toujours autant de plaisir et ce, sans réellement avoir envie d’extraire tel ou tel titre car il fait simplement voyager, apporte sentiments, images parfois mais surtout il transmet « du plaisir ».
La section rythmique est d’une remarquable finesse d’écoute et même si Gilad Hekselman est l’évident point d’accroche de l’auditeur, on sera toujours attiré par les basses « qui respirent » de Joe Martin et par le drumming tant souple que subtil ou lumineux de Marcus Gilmore, jamais omniprésent, mais complètement essentiel.

Un moment rare...

VALENTINI (Florence 1681 – Rome 1753) – « Concerti grossi » - Ensemble 415/Chiara Banchini.

Dans la « famille » baroque italienne je veux le...

Derrière le bottin Vivaldi, un peu de Corelli, le mythe Monteverdi (précurseur) me voici penchant l’oreille tardive de retour nocturne de nuit pianistique sur un album placé en stock dans la micro sd du téléphone. 
Besoin d’unité, de calme, de paix, souvent le baroque accompagne mes retours de soirées musicales jazzy/popifiées.
Haendel régulièrement (les concerti grossi version Pinnock), Bach parfois, Vivaldi souvent et là je fais défiler hâtivement la liste d’albums et sous le mot « Concerti Grossi » s’affiche Valentini.
Je tente.

Valentini, nom évoqué très vite voici bien trop longtemps en fac de musicologie, m’était resté englobé dans l’énumération de ces compositeurs baroqueux faite par un professeur dont les cours se contentaient d’être les seules relectures d’une encyclopédie de la musique quelque peu poussiéreuse.
Un vinyle par ci, pas grand-chose par là.


De prime abord l’évidence, ce tonal qui pousse vers l’écoute aisée, ce jeu de rôles concertants violonistiques où la conversation musicale rebondit de pupitre en soliste, de soliste en soliste, de soliste en pupitre... sur un « continuo » de dentelle, de douces étoffes, de raffinement et d’élégance.
Le mineur est chargé de ces soupirs amoureux et lascifs, le majeur est bondissant, guilleret, léger, festif  et papillonnant.

Les cordes sautillent, jubilent, s’envolent – la galerie de portraits, de scènes de cour, de femmes élégantes, sensuelles et lascives que l’on connait en tant de musées de par le monde s’invite à illustrer ce délicieux album gourmet, noble et délicat.
La musique coule le long de ma route comme un sens linéaire logique, évident, immuable – la nuit s’est illuminée d’étoiles scintillantes, de traits tour à tour virtuoses, langoureux, presque lyriques mais jamais exacerbés, le baroque et son flot de notes, peu enclin à la nuance romantique se suffit à lui-même. 
Chaque note a son sens, chaque phrase son chemin direct vers l’évidence, de cadences en/vers accords forcément parfaits, de mouvements induits par diminution en picardises de genre Mr Giuseppe Valentini, violoniste, peintre, poète et compositeur italien a transformé mon retour nocturne en poésie musicale et son tracé tonal sans faille m’aura fait jouer à la devinette mélodique, au chant anticipé, laissant de côté pour une bonne heure les réflexes pentatoniques des dérivés du blues.

Le « Concerto grosso » consiste en un dialogue entre, d’une part, les instruments solistes regroupés en « concertino » (généralement deux violons et un violoncelle, puis un alto selon les compositeurs), d’autre part, le « ripieno » (les autres cordes qui interviennent dans les passages « tutti » à savoir l’ensemble de l’orchestre, « concertino » inclus).
Solistes et tutti sont soutenus par le groupe de « basse continue » (basse de viole et clavecin).

JAN HARBECK QUARTET  (feat WALTER SMITH III) – « Variations in Blue » - 2014
Jan Harbeck (ténor saxophone – right channel) – Walter Smith III (ténor saxophone left channel) – Henrik Gunde (piano) – Eske Norrelikke (Bass) – Anders Holm (Drums).



J’ai poussé la porte du jazz club, il faisait sombre, l’ambiance tamisée m’a de suite happé.
On ne fume plus dans les caves où la « communauté » jazz se rassemble, on y boit par contre, whiskys, bières et autres vins de qualité.
Tous étaient tournés, calmes et sereins, happés par ces deux-là, qui, habités par le flambeau de ces années où Eddie Lockaw Davis et Paul Gonsalves (« Love Call – 1968 »), distillaint avec soin et âme ce jazz qui d’emblée m’ont embarqué vers Duke, un peu vers Count et pas mal de blues...
Le swing, certes, ce côté mainstream, tranquille, cette coolitude absolue où le saxophone ténor règne en maître absolu – voilà bien ce qui m’a aguiché l’oreille.

Le menu savoureux et sensuel, joué avec une classe presque désinvolte, a ravivé mes papilles nourries de cette époque bénie que parfois j’aurais tendance à oublier et qui pourtant dès qu’elle distille ses notes suaves ou chargées de ce rebond dansant imperceptiblement dans l’espace du temps m’attire, irrésistiblement.

Ici les « standards » pur jus bluesy de la très belle époque (« East St Louis toodle-oo ») côtoient avec la même verve, la même classe, le même raffinement satiné Piazzola (« Oblivion », délicieux et délicat) et des titres en compos originales tellement parfaitement intégrés dans le propos qu’on irait presque chercher dans le real book tant ils y figuraient sans hésitation...

Se préoccuper des « solistes » ici n’a finalement pas vraiment d’importance, ce jazz là induit l’improvisation, elle fait partie intégrante du propos et la difficulté sera donc surement de ne point laisser son égo se déployer au-delà de ce que la juste mesure musicale du projet et du contexte impose.
Le solo est normal, il s’inscrit ici dans chaque continuité thématique, il prend parfois sa place de « contre chant » (« Salvation ») pour mieux s’installer.
Ces deux ténors ne sont pas en duel, ils sont en osmose.

Alors, le sautillant ellingtonien « Nordic Echoes » si suave et dans ce ton post Cotton Club me fera penser écriture, thématique, construction, développement, ces axiomes si chers au grand Duke, ce maestro de la suite moderne, comme Bach le fut en son temps si ancien.
La rythmique est juste, d’une justesse qui ne met aucune équivoque de style possible...
Ces gars-là ont été biberonnés à ce swing pur et souple, ça balaye, ça jungle, ça chabade, ça stride, ça Garnerise à tout va, ça ne déborde jamais, c’est tout en retenue, en finesse.
Nordic Echoes - Jan Harbeck Quartet - Walter Smith III

De la grande cuisine...  avec en plat principal le grandiose « Blues in the night », ce standard de H.Arlen aux versions multiples sur tempis et orchestrations multiples (Sinatra, Ella...) servi en grandes pompes mid tempo avec une lecture mêlant tous les vibrants poncifs du genre (afro beat, swing, blues, pompe basse) pour là quelques solos de grande envergure qui tel un gros porteur passent dans le ciel pourtant bas de plafond de ce club imaginaire où je suis entré par hasard pour ne pas avoir vraiment envie d’en ressortir.
Blues in the Night - Jan Harbeck Quartet - Walter Smith III

Mais en suis-je vraiment sorti un jour ?

Commentaires

  1. Un tit commentaire sur juste Spencer Day, Ouf, présent dans Spotify, confort d'écoute tout en te lisant. Vive youtube, c'est vrai, mais là, il y a comme un climat que l'on ne veut pas interrompre. Tu as raison, pas grand chose à se mettre sous la dent sur le web. Quel timbre onctueux, soyeux... Je n'ai pas pris le temps de me pencher sur le reste de ta chronique, j'écoute ses chansons? Pas certains! Sa voix assurément.. C'est cool cool...Je pense à la période funk de Robert Palmer. Pas d'aspérité, pas de bousculade. On est pris pas les épaules pour une belle bal/llade. Merci et à suivre

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    1. D'un coup tu me chopes...
      Robert Palmer !...
      Double Fun...
      Cette coolitude absolue, ce côté plagiste grand luxe, le soleil, sable, plage...
      Je suis un gros fan de Robert Palmer (l'album secrets, ses albums avec little feat, double fun, clues véritable pépite préélectro....)

      Ces sonorités moelleuses...

      Effectivement avec Spencer Day j'ai ouvert des souvenirs, une belle ballade parmi tant de ces sonorités musicales familières que j'aime tant.
      Merci de ton passage et tu verras la suite, c'est tout aussi attirant...
      à +

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  2. Un petit passage aussi, comme Devant j'avais juste écouté Spencer Day avant de te lire et je me disais qu'il avait plus une voix à chanter du jazz que de la pop. ..et puis je t'ai lu donc effectivement. .. ça m'avait l'air pas mal en tout cas et je ne connaissais pas. ...

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